Alphonse Tellier, soldat au 276° RI

Le parcours d’un simple combattant briard

Au cours de la bataille de l’Ourcq, un événement rare va se produire, pour un certain nombre de soldats de la 6e Armée française Maunoury, recrutés en Seine-et-Marne.
Ils vont se battre le 5 septembre 1914, près des villages où ils sont nés.
Le soldat Alphonse Tellier, lui va combattre sur ses propres champs !
Il nous raconte.

 

Je m’appelle Alphonse Tellier.

Je suis né le 10 avril 1887 à Cuisy, un petit village de la Brie au nord de Meaux, adossé à la forêt de Montgé-en-Goële.

Je travaille la terre, comme mon père avant moi. J’habite une ferme à Iverny. 
Au cours de ce bel été 1914, je moissonne mes champs près de Villeroy. 
Début août, je quitte ma ferme pour rejoindre à Coulommiers, la caserne du 276e régiment d’infanterie de réserve. 

Alpho*
Alphonse Tellier en convalescence avec sa soeur, sa nièce et sa mère (Collection SAM2G)

J’ai 27 ans, je fais partie de la 19e compagnie du 5e bataillon, matricule 260. 
Le régiment est envoyé sur le front de Lorraine, puis déplacé par train, il se positionne au sud d’Amiens, avant de retraiter sur Paris, talonné par l’avancée des forces allemandes. 
Le 5 septembre, je n’arrive pas à le croire, nous sommes à Villeroy ! 
Je vois, d’où je suis, le clocher de mon village ! 
Si ça se trouve, je pourrais dormir chez moi ce soir… 
Il est midi et demi, soudain des obus s’abattent dans nos lignes ! 
Commence un duel d’artillerie entre les batteries françaises situées près de nous à Iverny et les batteries allemandes qui nous font face, sur la butte de Monthyon
Vers 16 heures, ordre nous est donné de nous diriger sur Monthyon, pour protéger les Marocains engagés au bois du Télégraphe
Ma compagnie se déploie dans le fossé de la route qui va de Villeroy à Iverny. 
Les Allemands sont juste en face de nous, bien abrités derrière une rangée d’arbres, le long du Ru de la Sorcière. 
On va devoir parcourir 600 mètres à découvert dans ces champs, dans mes champs... 
Aussitôt le capitaine Guérin, les lieutenants Péguy et de la Cornillière, sabre au clair, nous crient en avant pour un bond de 30 mètres ! 
On y arrive, mais la moitié des hommes sont tombés.  
Il ne reste plus que le lieutenant Péguy pour nous commander et il décide de refaire un bond de 30 mètres. 
Nous nous protégeons comme nous pouvons, mais pas lui. 
Debout, il reçoit une balle en pleine tête... 
Les trois quarts des hommes de la compagnie sont morts ou blessés. 
Moi, je viens de recevoir une balle dans l’épaule gauche. 
C’était forcé, nous partions d’une route, à découvert, avec nos pantalons rouges, face aux mitrailleuses allemandes... 
C’était inouï ! C’est juste nous qu’on a sacrifiés… 
Je reste allongé, jusqu’à la nuit tombée. J’arrive alors à rejoindre en rampant, Villeroy, avec quelques rescapés. Je pense à mes camarades tombés, mais aussi à ceux qui ont échappé à la mort comme Victor Boudon
Plus tard, il écrira même un livre sur cette bataille dite de l’Ourcq... Nous sommes devenus amis. 
Pour en revenir à Péguy, un journaliste m’a demandé si je le connaissais bien... 
Je lui ai répondu que non. 
Je n’étais qu’un simple cul-terreux, je suis un campagnard, comme on dit, je ne l’ai su qu’après… »

Héros d'Iverny

Après avoir rejoint son régiment, Alphonse Tellier sera de nouveau blessé au poumon droit, un an plus tard, le 30 septembre 1915, dans les tranchées, sur le front de l’Aisne, au bois Marteau, près de Soissons. 
Hospitalisé à l’hôpital auxiliaire n° 118 de Courbevoie, il va reprendre le combat après un mois de convalescence. 

Alphonse Tellier Collection : SAM2G
Alphonse Tellier à gauche de la photo (Collection SAM2G)


Le 15 novembre 1917, il est décoré de la Croix de Guerre (pendant plus d’une heure, sous un violent bombardement d’obus, a permis de dégager ses camarades ensevelis dans un abri). 
Le 15 juillet 1918, au cours de l’offensive allemande, lors de la seconde bataille de la Marne, il est fait prisonnier à l’Est de Reims.
Libéré après l’armistice du 11 novembre 1918, puis affecté au régiment de Fontainebleau, il sera démobilisé le 12 juillet 1919.
Soit près de 5 ans après le déclenchement de la guerre.

Il sera distingué le 26 octobre 1937 de la Médaille Militaire, puis en septembre 1960 de la Médaille de la Marne, enfin le 28 décembre 1961 de la Légion d’Honneur (elle lui sera remise lors des commémorations de septembre 1962).

Alphonse Tellier collection SAM2G
Alphonse Tellier le 6 sept. 1964 avec le drapeau du 276e RI (Collection SAM2G)

Quel parcours pour un simple « cul-terreux » comme il se définissait trop modestement en 1972, lorsqu’il témoignera, dans l’émission de TV : « Les grandes batailles du passé : La Marne » sur les combats et les circonstances de la mort de son lieutenant Charles Péguy.

Fidèlement, chaque année, en septembre, il assistera aux commémorations de cette bataille de la Marne avec notamment la famille de Charles Péguy, ainsi que ses compagnons d’armes, dont Victor Boudon qui faisait partie de la même compagnie, et auteur du livre : « Avec mon lieutenant Péguy ».
Conseiller municipal d’Iverny, de 1945 à 1965, Alphonse Tellier est décédé le 26 janvier 1977, à près de 90 ans.
Il est inhumé avec son épouse dans le cimetière d’Iverny, non loin des tombes du capitaine Michel et du lieutenant Whitcomb, tombés ce 5 septembre 1914.

Alphonse Tellier Collection SAM2G
Mort d'Alphonse Tellier (Collection SAM2G)

Depuis le 11 novembre 2003, dans son village d’Iverny, en hommage, une rue Alphonse Tellier a été inaugurée.


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