Le 276e régiment d’infanterie de Coulommiers
Ces soldats se battent pour leur terre, leur maison...
Ce régiment est entré dans la légende au cours des opérations sur la Marne dès le 5 septembre 1914. Voici donc le récit de ces deux jours (5 et 6 septembre) au cours desquelles il s’est illustré au nord de Meaux.
Tout d’abord, ce régiment de réserve, recruté à la fois à Paris et le plateau briard, a été constitué à partir du 4 août 1914 en prélevant des cadres (officiers et sous-officiers) à son unité mère, le 76e RI. Ainsi le chef de corps, le lieutenant-colonel Lejeune, est un officier d’active.
L’effectif du régiment se divise comme suit :
- 37 officiers (dont le lieutenant Charles Péguy)
- 184 sous-officiers
- 2 002 caporaux et soldats.
Chaque compagnie est commandée par un capitaine d’active secondé par deux lieutenants de réserve. Pour son appui-feu, le régiment possède deux sections de mitrailleuses et 111 chevaux et 28 voitures sont à sa disposition pour assurer le transport et la logistique. Le régiment est intégré à la 110e brigade d’infanterie de la 55e division de réserve du général Leguay. Le régiment est transporté à l’aile droite de la 3e armée dans le secteur de Saint-Mihiel. D’abord maintenu en réserve, il est engagé en première ligne à partir du 28 août. Il connaît son baptême du feu le 30 à l’Echelle-Saint-Aurin dans la vallée de l’Avre. La 55e division de réserve, qui fait partie de la 6e Maunoury nouvellement constituée par Joffre, se replie ensuite vers Senlis.
Iverny-Monthyon, le 5 septembre
Parti le 4 au matin de Vemars où il a cantonné la veille, le 276e ouvre la marche de la division en direction de Monthyon en passant par Iverny et Villeroy.
A 11h, arrivé en vue du village, le régiment reçoit l’ordre d’aller s’installer au Plessis-Lévêque, lorsque soudain les obus allemands, dont le tir est mal réglé, s’abattent sur la tête de colonne où se trouve le 6e bataillon. L’ensemble du bataillon s’abrite comme il peut dans les maisons tandis que le capitaine Truillet, qui commande la 21e compagnie, reçoit l’ordre d’occuper la corne est du bois des Tillières. Au cours de la progression qui s’effectue sans rencontrer de résistance majeure, l’officier aperçoit à 500 m du bois une batterie allemande apparemment isolée. Il n’hésite pas une seconde et lance ses hommes à l’assaut. Ils tombent alors sous les feux nourris de l’infanterie allemande bien camouflée. Le capitaine est grièvement blessé, mais il parvient malgré tout à assurer le repli de ses hommes. A 17h, devant cet échec, le lieutenant-colonel Lejeune ordonne à la 22e compagnie du capitaine Dessat de rallier les survivants de la 21e compagnie et de dégager le bois des Tillières des tirailleurs allemands. Ne parvenant aux abords du bois qu’à la nuit tombante, le capitaine aperçoit une troupe qui lui crie : « Ne tirez pas, nous sommes tirailleurs ! » Croyant qu’il s’agit de tirailleurs de la brigade marocaine (qui combat à droite de la 55e division de réserve), le capitaine s’avance sans précaution et tombe frappé par une décharge de mousqueterie à bout portant.
Dans le même temps, le 5e bataillon se déploie en début d’après-midi dans le secteur de Villeroy avec le soutien de l’artillerie. Après l’échec de l’attaque de la brigade marocaine sur le bois du Télégraphe près de Penchard, le bataillon se porte en avant de Villeroy pour couvrir le repli des tirailleurs marocains. A 17h, le capitaine Guérin qui commande la 19e compagnie reçoit l’ordre d’avancer en direction du ru de la Sorcière dans lequel les Allemands se sont abrités. Dès le premier bond en avant qui s’effectue en rang de tirailleurs serrés, Guérin et une centaine d’hommes sont tués. Le lieutenant de la Cornillière prend le commandement avant de tomber à son tour. C’est au lieutenant Charles Péguy désormais de diriger le prochain bond avant. Dans les rangs de la compagnie, comme d’ailleurs dans le reste du régiment, il y a plusieurs hommes qui sont originaires de Monthyon, du Plessis-Lévêque, de Saint-Soupplets ou de Meaux comme le lieutenant Courtier (de la 20e compagnie) notaire, qui est blessé à la tête. Comme l’a écrit Péguy de manière prophétique, ces soldats se battent pour leur terre, leur maison : « Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu, et les pauvres honneurs des maisons paternelles. » Comme tous les officiers, Péguy dirige la compagnie debout, sans se soucier de la mitraille et invective ses hommes, mais il est rapidement touché en plein front et s’effondre dans un soupir laissant échapper une dernière parole : « Ah mon Dieu, mes enfant ». L’assaut ne peut se poursuivre. Lancé sans préparation d’artillerie, c’est un échec sanglant. Au cours de cette première journée, le régiment déplore 305 tués dont 5 officiers et 152 blessés dont 2 officiers.
Barcy, le 6 septembre
Malgré les pertes effroyables de la veille, le régiment reste en alerte. Le 6 au matin, il apparaît que l’ennemi s’est replié sous le couvert de la nuit. La 55e division de réserve reprend donc sa marche en avant. À hauteur de Barcy, les Allemands sont repérés sur leur nouvelle ligne de défense. Le combat s’engage immédiatement. Le 6e bataillon qui arrive sur Marcilly est accueilli par un déluge de feu déclenché par l’artillerie allemande. Les compagnies s’organisent à l’intérieur du village. Le 5e bataillon reste en arrière en réserve. A 15h, alors que l’assaut sur le plateau entre Barcy et Varreddes est en cours, le lieutenant-colonel Lejeune reçoit l’ordre de soutenir l’assaut des 231e (Melun) et 246e (Fontainebleau) régiments d’infanterie. La 22e compagnie et les deux sections de mitrailleuses sont déployées mais trop tardivement pour appuyer l’attaque, le 231e se replie déjà. Dans la confusion des combats et en raison des pertes subies par les deux régiments d’attaque, le drapeau du 246e est recueilli par l’adjudant Colas et le soldat Chavet. A la fin de la journée, la 55e division de réserve doit se replier car les 231e et 246e RI ont été décimés. Les pertes du 276e se limite 24 tués ou disparus, et 22 blessés dont deux officiers. Le régiment ne participera plus à la bataille de l’Ourcq et reprendra part aux combats le 12 septembre à Soissons lors de la poursuite de l’armée allemande.
Près d’Iverny, dans la 17e compagnie de ce 276e régiment, combat un ami de Charles Péguy : le lieutenant Claude Casimir-Périer, fils de l’ancien Président de la République, Jean Casimir-Périer (1847-1907).
Claude Casimir-Périer a pour secrétaire et ami, Alain Fournier (auteur du Grand Meaulnes, livre édité en 1913). Péguy et Fournier se connaissent aussi et échangent avant la guerre, une correspondance soutenue. En 1912, Alain Fournier accompagnera la marche de Péguy, sur une partie de son pèlerinage de Paris à Chartres. Alain Fournier, 28 ans, sera tué le 22 septembre 1914, au Sud-Est de Verdun, sur le front de la Meuse, dans les bois de Saint-Rémy-la-Calonne. Son corps ne sera découvert que le 2 mai 1991… Claude Casimir-Périer, sera nommé, le 7 septembre 1914, capitaine de la compagnie décimée de Charles Péguy.
Il trouvera la mort, à 35 ans, le 12 janvier 1915, sur le front de l’Aisne, il est enterré dans le cimetière militaire français de Crouy-sur-Aisne, près de Soissons.
Villeroy : le puits de Puisieux (puisieux signifie ancien puits).
Situé dans une dépression de terrain, à l'orée du village de Villeroy, ce puits fut creusé, selon la légende, sous le règne du roi de France Mérovée (450-500 ans après J.C.). Plus réellement, depuis le 17e siècle, à cet emplacement, il y avait une exploitation agricole, appelée : ferme Puisieux, appartenant à l’abbaye Saint-Faron, de Meaux. Avant 1834, la ferme est entièrement démolie, excepté le point d’eau, et le terrain est remis en culture, ce qui explique ce puits en plein champ…
Vers 14h30, en cet après-midi du 5 septembre 1914, les soldats du 5e bataillon du 276e régiment d’infanterie de Coulommiers, parviennent dans ce creux de terrain. Ils se mettent à l'abri, tandis qu'un duel d'artillerie oppose les forces en présence. Malgré une chaleur accablante, les soldats sont réticents à boire l’eau de ce puits ; ils craignent que les Allemands l’aient empoisonnée. Les Allemands n’étant pas parvenus à ce point extrême et rassurés par le soldat Alphonse Tellier, natif du pays, les fantassins français finissent par remplir leurs bidons. C'est à ce puits, que le lieutenant Charles Péguy et les hommes de sa 4e section, ont bu leur dernière eau …Le puits, restauré plusieurs fois, appartient désormais à l'Association des Amis de Charles Péguy.